L’objectif de cet article n’est pas de délivrer une recommandation d’un styliste éveillé dont on ne se sait d’où il puise son inspiration et de quelle sorte de voyance il est doué. Mon objectif est de livrer aux hôteliers un conseil de positionnement qui me semble opportun dans l’environnement et le contexte socioéconomique français et mondial actuel. La méthode que j’ai adoptée pour tirer une conclusion est la suivante :
Le lecteur pressé pourra lire les deux derniers paragraphes et remonter sa lecture s’il souhaite comprendre les justifications des conclusions.
Le marketing si c’est une science, appartient aux sciences humaines et c’est avec prudence et humilité que je livre ici une perception qui n’engage que moi.
Carrefour – 1963
Si les français ont l’impression d’une perte de pouvoir d’achat, une étude Xerfi montre que depuis l’entrée en vigueur de la monnaie européenne, le pouvoir d’achat des français a augmenté de près de 20% même s’il est vrai qu’il a reculé depuis 2011. Une étude de l’INSEE de 2017 montre qu’entre 1979 et 2010, la consommation réelle par tête a augmenté en France de plus de 85 %. Il faut bien sûr moduler ce constat car toutes les études démontrent également que l’écart entre les revenus moyens les plus hauts et ceux les plus bas s’est accru. De l’autre côté du monde, l’ouverture de la chine et plus globalement la croissance exceptionnelle des pays émergents a permis un rattrapage qui a augmenté le niveau des richesses dans ces bassins économiques.
Une scission Nord/Sud du monde s’est alors installée en augmentant l’écart entre revenus du travail qualifié et ceux non qualifié. La désindustrialisation, les délocalisations, la réallocation des emplois vers les services, ont un impact négatif sur les salaires de qualification basse et moyenne. Inversement les travailleurs les plus qualifiés et les détenteurs de patrimoine tirent profit de la mobilité internationale du travail, de la mondialisation de l’activité des entreprises et de la libéralisation financière, produisant une envolée des très hauts revenus principalement dans les grandes métropoles alors que le monde rural est à côté de ce développement.
Le développement des richesses au niveau planétaire n’est pas le seul booster du tourisme. Regardons maintenant l’évolution économique sur une plus longue période. On observe que les révolutions technologiques et sociales qui se sont succédées l’ont considérablement impacté.
Le XIXème siècle est marqué par le développement du transport ferroviaire qui propulse le tourisme. C’est par exemple le développement des stations balnéaires d’abord pour les couches sociales les plus favorisées (Biarritz, Deauville, Arcachon…) puis à la fin du XIXe et plus encore au XXème siècle, les lois sur l’école, la réduction du temps de travail des enfants, puis des femmes et des hommes permettent progressivement aux classes moyennes et populaires de connaître le « temps libre ».
Plus tard le développement du réseau ferroviaire à grande vitesse permet de relier Paris à Nantes en moins de deux heures alors qu’on s’émerveillait en 1820 du progrès permettant de relier les deux villes en « seulement 10 heures ».
On assiste depuis cette dernière décennie à une explosion des statistiques mondiales sur le transport aérien de passagers. Avec un vol toutes les 1,16 secondes nous avons aujourd’hui 37 millions de vols par an pour transporter 4 milliards de passagers, quatre fois plus qu’en 1990.
Enfin il faut ajouter un troisième facteur contribuant au développement du tourisme. Grâce aux progrès de la médecine, l’allongement de l’espérance de vie a créé, en tout cas en Europe, une population de retraités disposant de temps et d’un niveau de vie bien supérieur à celui qu’avaient leurs parents. Les retraités représentent une part sans cesse croissante de la population fortement consommatrice de tourisme.
En France les cadres supérieurs, professions libérales et cadres moyens optent plus souvent pour des hébergements marchands et partent vers des destinations plus lointaines pour des séjours plus longs. Ils sont plus souvent propriétaires d’une résidence secondaire, séjournent plus à l’hôtel, et cumulent plus que tous les autres les différentes formules de vacances. Pour les couches sociales françaises plus modestes ce sont majoritairement des séjours chez des parents ou des amis dans des hébergements non marchands qui sont privilégiés puis les séjours à la mer. Les locations saisonnières, les hôtels et pensions arrivent très loin derrière.
Au niveau planétaire 52 % des voyageurs circulent pour leur recréation, 27 % pour rendre visite à des parents, amis et 17 % pour affaires alors que 7% ne s’expriment pas. Ces statistiques ignorent le tourisme intérieur qui en occident relève de moins en moins du tourisme mais de plus en plus du loisir. Mais rappelons-le, c’est moins celui-ci que celui international qui est porteur pour l’hôtellerie française.
L’analyse de l’impact du boom du tourisme mondial mérite cependant discernement en fonction du bassin d’observation. Ainsi Paris et la côte d’Azur se distinguent par une arrivée plus massive en volume et en valeur de voyageurs à fort pouvoir d’achat originaires notamment du moyen orient, de Chine, de Russie…qui brouille la lecture.
Mais Paris « profite » également du transport aérien Low Cost qui représente aujourd’hui presqu’un tiers de l’ensemble des sièges. Il prolifère grâce à un catalyseur : La digitalisation de l’économie, récipient dans lequel on trouve entre autres booking.com et AirBnb. Ainsi Paris est la première ville du monde en nombre de logements AirBnb.
A Paris, le tourisme Low-cost, qui a explosé ces dernières années, profite en effet majoritairement à AirBnb. Ne nous voilons pas la face : Ce qui plait prioritairement au client AirBnb c’est plus le prix et moins se sentir comme la maison. Il suffit d’observer l’industrialisation de cette machine de guerre pour le comprendre. A Londres il n’existe pratiquement aucun logement AirBnb habité par des particuliers.
Un appartement AirBnb à Londres
Le tourisme sénior n’est guère plus contributeur pour l’hôtellerie car il est majoritairement constitué d’une part de séjours chez les parents et amis et d’une autre part de séjours en groupe ligotés par des agents spécialisés.
Avec la digitalisation de l’offre on a assisté à l’obsolescence de l’hôtellerie standardisée moyen / haut de gamme. En 2005, 65 % des clients optaient pour une hôtellerie de chaîne et 14% pour l’hôtellerie indépendante. En 2017 c’est respectivement 56% et 24%. Ce qui a changé ? Les marques ne sont plus une caution et une valeur refuge car le web a apporté une meilleure visibilité des hôtels indépendants. Par ailleurs des efforts de modernisation de l’hôtellerie indépendante se traduisent par une tendance à la « boutique-hôtelisation » répondant à une demande.
L’étude des comportements de consommation repose sur une analyse anthropologique, sociologique et statistique débouchant sur la constitution de groupes. A notre humble niveau, pour simplifier l’analyse et caricaturer ces comportements nous pouvons faire comme si deux profils majeurs de consommation s’opposaient avec :
Depuis le XIXème siècle le tourisme n’a cessé de se développer. Jusqu’où cette frénésie du voyage va-t-elle nous mener ? « Être en vacances ne suffit plus, il faut partir en vacances » nous dit le sociologue Rodolphe Christin. « On part pour oublier le monde plutôt que pour le découvrir » poursuit-il et c’est ainsi que le tourisme est la fin de l’aventure. Dès lors, il devient une autoroute où tout doit être préparé, cadré, optimisé.
Les comportements comme les espèces ou les civilisations ne suivent-elles pas des lois semblables ? C’est l’apogée qui créé le déclin et l’excès qui le précède. Lorsque l’on observe Dubrovnik, Venise ou Barcelone et le quartier du Marais en été, on se demande si on est toujours tenté d’y aller.
Mama Shelter Paris
L’atout majeur de l’hôtellerie indépendante est de jouer là où les chaines ne peuvent se battre : Avec une taille plus humaine et familiale il peut renforcer la personnalisation de l’expérience client dans ses parties hébergements. Le boutique hôtel resterait donc un positionnement vertueux pour l’hôtellerie indépendante d’autant que se sentir comme à la maison est une attente confirmée du voyageur.
Mais il faudrait enrichir ce business modèle des ingrédients de l’école Mama Shelter. L’hôtel doit dédier ses parties communes non à ses équipes mais à ses clients. Fini les grands desks pour la réception ou les espaces salon qui ressemblent à des salles d’attente. Fini les salles à manger qui ne sont allouées qu’au petit déjeuner et dorment le reste de la journée. Fini les spas isolés où personne ne va. Fini l’espace business réduit à un bureau équipé d’un ordinateur qui s’ennuie. Fini les espaces communs cloisonnés. Fini les room services aussi indigents que dispendieux. Je donne des exemples illustrés de bonnes pratiques dans l’article « Expérience client : L’hôtel de grande métropole »
Enfin et surtout, l’hôtel indépendant dispose d’un atout moins accessible aux chaînes : L’hyperpersonnalisation de l’expérience client doit se traduire également dans le service. Comme je l’évoquais dans l’article « Votre client insatisfait est votre meilleur allié », il est plus couteux d’acquérir un nouveau client que de conserver celui que vous avez déjà. La direction de l’hôtel et l’équipe de réception doivent être au centre de toutes les attentions du client et la gestion de l’hébergement n’est qu’une contrainte opérationnelle.
La mise en œuvre de cette stratégie débouche inévitablement sur une augmentation des investissements au mètres carré dans un contexte où le prix de l’immobilier des grandes métropoles ne cesse de monter. C’est donc une stratégie de monté en gamme qui s’impose à l’hôtelier des grandes capitales. Comme dans toute aventure d’entreprise, c’est une prise de risque mesurée et un courage qui s’adoptent avec responsabilité.
Sources :
Le niveau de vie a augmenté à chaque génération – Les Échos
15 ans de pouvoir d’achat des Français – Xerfi
L’évolution des inégalités mondiales de 1870 à 2010 – ENS Lyon
L’hôtellerie économique change de clientèle – Les Échos
L’avènement du tourisme de masse – Sciences Humaines
La troisième révolution touristique – journals.openedition.org
Les touristes chinois dépensent plus en France qu’à Singapour ou aux États-Unis – Le figaro
Les touristes les plus nombreux et ceux les plus dépensiers – Coach Hôtels
L’Airbnbisation de nos villes est une gangrène– Coach Hôtels
Les habitudes de voyages des seniors retraités – letourismesenior.com
Le Low Cost est à la mode – Réseau veille tourime.com
Tourisme : « On part pour oublier le monde plutôt que pour le découvrir » – Le Nouvel Observateur
Voir notre offre « Positionnement et Stratégie Marketing » : https://www.coach-hotels.com/expertise/conseils-strategie-marketing-creation-de-logos/